Je voudrais ici vous
exposer brièvement ma conception de la cartomagie. Je ne serai pas
long, et j'irai droit à l'essentiel. Car je sais combien le lecteur
répugne à lire un avant-propos qui lui paraît toujours
être un texte périphérique et secondaire. Or, souvenez-vous-en,
on y trouve parfois des choses bien utiles et importantes. Le cartomane,
selon moi, possède au moins trois caractéristiques fondamentales,
à savoir :
D'une part, l'habileté. En effet, le magicien des cartes est d'abord
un prestidigitateur, c'est-à-dire qu'il maîtrise un certain
nombre de savoir-faire et de techniques indispensables à la réalisation
de ses effets. Cette maîtrise est la condition première et
nécessaire de la présentation de bons tours, car c'est par
elle que le magicien apparaît aux yeux de tous les profanes comme
quelqu'un de doué, comme celui qui ne présente pas des 'petits
tours' ou des tours de débutants. Mais si la maîtrise est bel
et bien une condition nécessaire, elle n'est toutefois pas suffisante…
D'autre part, la fabrication d'illusions. Le cartomane associe à
ses effets la production d'illusions, il est aussi un illusionniste. Ceci
suppose la connaissance de certains effets d'optique, la capacité
à maintenir un rythme dans l'exécution des passes, l'aptitude
à trouver les bons angles de présentation, etc. En un mot,
le cartomane est un faiseur passionné d'illusions qui connaît
les limites de ce que peut voir l'œil et de ce que peut entendre l'oreille,
qui sait que chacun associe à un bruit un mouvement, à un
mot un geste. Il suffit par exemple, lors d'une fausse coupe, de reproduire
le bruit que fait le choc des deux portions du jeu quand on le coupe réellement
pour donner l'impression que le jeu a été vraiment coupé.
Les spectateurs anticipent et s'égarent tous seuls. C'est la loi
des sens qui s'illusionnent, mais c'est aussi celle du jugement qui se trompe.
Enfin, l'animation. Le
cartomane verra ses effets grandir et avoir un impact maximal s'il s'emploie
à présenter ses tours en interaction avec le public, en faisant
participer les uns et les autres sur le ton du badinage. Il convient de capter
l'attention du public en introduisant de l'humour. N'oubliez pas que les gens
aiment rire. Ils n'attendent pas seulement de voir des tours spectaculaires,
ils veulent se divertir. Amusez-les donc !
Il convient également de faciliter le regard du public sur vos tours
et la compréhension qu'il en a par des commentaires clairs sur ce qui
se passe. Cela est un élément méthodologique général
important : en aidant les spectateurs à comprendre ce qui se passe,
non seulement vous écartez toute ambiguïté, mais vous leur
ôtez certains des efforts qu'ils doivent faire pour suivre. En canalisant
clairement leur attention sur ce que vous faites, ils peuvent alors bénéficier
pleinement des effets, sans avoir à se poser de questions. Soignez
donc votre présentation. Aiguisez l'intérêt des spectateurs,
amusez-les et soyez clair !, telles sont les trois conseils qu'il importe
de donner à ceux quisouhaitent s'initier à cet art fantastique
qu'est la cartomagie.
De façon générale, il n'est pas inutile de préciser
que la réussite d'un tour, ou d'une routine*, tient à la faculté
de combiner chacun de ces éléments entre eux : habileté,
illusionnisme et animation. C'est ensuite à chacun de créer
son propre style, sa manière de faire, c'est à chacun que revient
la tâche de personnaliser ses effets. A cet égard, il suffit
de regarder la façon qu'ont les autres cartomanes de présenter
leurs tours pour se rendre compte de la personnalité de chacun et des
différences, et s'apercevoir, malgré tout, que tel magicien
privilégie par exemple l'habileté et tel autre l'animation.
Autant dire qu'il n'existe pas de règles strictes pour être un
bon magicien, et que c'est à vous d'inventer votre chemin (pour reprendre
l'expression d'un fameux philosophe).
Ah, un dernier mot ! J'allais oublier de vous dire de vous adapter à
votre public. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut simplement dire qu'il
est souhaitable et recommandable d'identifier rapidement la personnalité
des spectateurs. En effet, parmi eux, vous trouverez tous les tempéraments
: les naïfs, les rationnels, les messieurs 'je sais tout' mais qui ne
savent rien, etc. Psychologiquement, il est toujours bon d'aller dans le sens
des spectateurs. Si vous vous trouvez par exemple devant un moqueur, présentez-lui
un tour où vous feignez sérieusement de vous tromper. Il se
rira de vous, à n'en pas douter, mais au moment du dénouement,
vous vous rattraperez magistralement et de façon complètement
inattendue. Le moqueur n'en croira pas ses yeux et, croyez-moi, il reconsidérera
sa moquerie un peu trop facile…
Je vous souhaite une bonne réussite et surtout du bon plaisir dans
la réalisation de vos tours !
Tony Ferri, avril 2002.
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